Rroû by Maurice Genevoix

Rroû by Maurice Genevoix

Auteur:Maurice Genevoix
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions de la Table Ronde
Publié: 2010-05-14T16:00:00+00:00


13.

Paradis

Ainsi les traditions s’étaient renouées. Cette étrange, cette délicieuse paix qui avait surpris le chat noir au bord du chemin de halage, elle persistait, illuminant toutes les heures de sa vie. Les souvenirs de la guerre amoureuse, lorsqu’ils se réveillaient maintenant, ne débordaient point du passé, semblaient un rêve ardent et rouge dont la flamme ne brûlait plus.

Chaque soir, souvent aussi le jour, Kiki venait de sa maison basse. Toujours aussi fruste et vulgaire, il montrait du moins aujourd’hui une fidélité qui faisait oublier son égoïsme de la saison. Discret de poil, humble de cœur, il engraissait dans une oisiveté bien nourrie ; et il était, pour le chat noir, comme une image un peu grossière où son bonheur réfléchissait la luisance de sa belle santé.

Ils ne se quittaient presque plus. Rroû l’admettait ainsi pourvu que l’autre demeurât à sa place. Il voulait bien que Kiki le suivît dans les herbes folles du talus, dans la ramure du vieux sureau. Mais s’il lui disait : « Reste là », ou si encore il lui disait : « Tais-toi », il fallait que Kiki obéît.

Kiki obéissait toujours, avec une complaisance qui ne lui coûtait point d’effort. C’était une bête habituée à la dure, que nulle fierté n’embarrassait. Des calculs sagement simplistes ordonnaient le décours de son existence terre à terre : pour l’attrait du bol à fleurs, il eût supporté au décuple les caprices du chat noir et sa dédaigneuse fantaisie.

« Tu veux jouer ? disait Rroû. Joue tout seul, j’ai envie de dormir. »

Alors Kiki bâillait immensément :

« Comme c’est curieux ! Moi aussi, j’ai sommeil. »

Mais quand ils arrivaient ensemble au seuil de la chambre de Clémence :

« Halte ! ordonnait le noir. Tu ne t’es pas regardé, Kiki. »

Il avisait la niche peinte en fausses briques, condescendait par dérision :

« Fourre-toi là-dedans si tu veux. »

Et Kiki se fourrait dans cette chose ridicule. Il n’y avait peut-être pas au monde un autre chat qui s’en fût contenté.

Rroû pénétrait seul dans la chambre. Lorsque Clémence n’y était pas, il en aimait le grand silence, et l’odeur fraîche, un peu moisie. Avant de se coucher, il repoussait lui-même la porte, sautait alors au pied du lit. Un molleton rouge l’y attendait toujours, creusé en rond par le poids de son corps. Il l’avait reconnu : c’était celui-là même dont Clémence, autrefois, capitonnait le bac à parapluies. Il était épais et moelleux, mais bien plus sur le lit de Clémence que dans le fond du bac de zinc.

Rroû dormait sur le molleton rouge, d’un sommeil profond et sans rêves. Nulle autre part il ne dormait de pareil cœur, ne goûtait aussi forte, au réveil, la volupté d’avoir vraiment dormi. Pas un bruit qui vînt le distraire, pas un frisson de feuille, pas un frôlement de bête sous l’herbe. Et quelle sécurité divine !

Nez noir, Raies jaunes demeuraient à Solaire où Rroû ne mettait plus les pattes : tout était bien, chacun restait chez soi.

« N’est-ce pas, Clémence ? N’est-ce pas, Kiki



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